Claire Thibout

 

 

Vendredi 11 mars 2011, cabinet de Me Antoine Gillot, avenue Victoria, vue (presque) imprenable sur la place du Châtelet. Claire Thibout, 53 ans, paraît nerveuse, sur ses gardes. En fait, elle est comme ça depuis le mois de juillet 2010. Avec ses faux airs de Pierre Desproges, son avocat, qui fume bizarrement ses Marlboro par le bout après en avoir arraché le filtre, est plutôt atypique. Sa décontraction rassure l’ancienne comptable des Bettencourt, minuscule dans son grand fauteuil. Ce premier rendez-vous sera suivi de trois autres, en tête-à-tête. Claire Thibout, si fragile, fracassée par le pouvoir, demandera à relire ses propos, qu’elle n’atténuera en rien.

 

Sa fille de 14 ans suit une psychothérapie, son mari a failli la quitter, elle s’est fâchée avec sa sœur, elle-même prend des antidépresseurs et consulte un psy, le fisc est à ses trousses, la justice la menace toujours, elle a perdu son emploi – et désespère d’en trouver un nouveau… Voilà, pour l’essentiel, ce que l’affaire Bettencourt a « rapporté » à Claire Thibout. Pour avoir osé évoquer un financement illégal en 2007 de la campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy, elle s’est trouvée, contre son gré, plongée au cœur d’un scandale d’État dont elle n’a mesuré l’ampleur que trop tardivement. Claire Thibout, ou l’histoire d’une simple comptable devenue témoin gênant, d’une femme sans histoires pourchassée par la police et les paparazzis, d’une mère de famille ordinaire broyée sans états d’âme par un pouvoir vacillant, prêt à tout pour sauver son chef.

Claire Thibout, comptable de Liliane et André Bettencourt de mai 1995 à décembre 2008, n’oubliera jamais ce début d’été 2010. Non sans hésitation, elle a fini par accepter de revenir, heure par heure, sur ces incroyables journées. « Pour moi, commence Claire Thibout de sa petite voix haut perchée, la descente aux enfers a commencé lorsque la police, juste après la publication des enregistrements, en juin 2010, a découvert que c’est mon mari, informaticien, qui avait fait la copie des cédéroms. »

Le mercredi 16 juin 2010, la publication des extraits de conversations captées clandestinement dans l’hôtel particulier de Liliane Bettencourt par son maître d’hôtel, Pascal Bonnefoy, marque le début d’un tsunami politico-judiciaire d’ampleur inégalée. Les propos enregistrés suggèrent financements politiques suspects, conflits d’intérêts, fraudes fiscales et autres pressions sur la justice. Les faits mis au jour sont extrêmement embarrassants pour le pouvoir, tout spécialement pour le ministre du Travail Éric Woerth, mais aussi pour le procureur de Nanterre, dont il apparaît qu’il aurait pu être influencé par l’Élysée dans le traitement du dossier d’abus de faiblesse opposant la fille de Liliane Bettencourt à l’entourage de cette dernière.

« Les policiers ont pensé à une collusion », reprend Claire Thibout. De fait, le maître d’hôtel, Pascal Bonnefoy, entretenait d’excellentes relations avec le couple Thibout. Il avait logiquement pensé au mari de Claire, Philippe, pour numériser les enregistrements pirates, réalisés entre mai 2009 et mai 2010 à l’aide d’un petit dictaphone. « Ils l’ont mis en garde à vue pendant près de quarante-huit heures. Ils pensaient qu’il avait été payé, ce qui était faux », explique l’ex-comptable des Bettencourt. Bombardé de questions par les policiers, l’informaticien est soumis à une forte pression. Dès la révélation des enregistrements, le procureur de Nanterre, plutôt que de s’intéresser au contenu des discussions captées par Pascal Bonnefoy, a demandé aux policiers de concentrer leurs investigations sur ceux qui les avaient réalisés, recopiés et diffusés. Claire Thibout reçoit un coup de fil : c’est la police judiciaire. « Pour que votre mari sorte, venez vite », lui intiment les enquêteurs, prétextant des vérifications à faire sur l’état du patrimoine du couple. La comptable file au 133, rue du Château-des-Rentiers, dans le XIIIe arrondissement de Paris. C’est à cette adresse, dans un immeuble couleur grisaille, que sont regroupées les sept brigades de la PJ parisienne spécialisées dans les infractions économiques et financières.

« Je n’avais pas d’inquiétude particulière, se souvient-elle, je pensais à une audition de routine. Sauf qu’en arrivant rue du Château-des-Rentiers, une mauvaise surprise m’attendait. » Elle s’entend dire par un policier : « On vous met en garde à vue car une plainte contre vous pour vol vient d’arriver. » Dans l’intervalle en effet, l’avocat de Liliane Bettencourt, Me Georges Kiejman, qui entretient les meilleures relations avec Philippe Courroye, vient de déposer une plainte providentielle contre Claire Thibout, soudainement accusée d’avoir conservé par-devers elle des documents après son départ de chez Clymène (la société chargée de valoriser la fortune de l’héritière de l’Oréal)… un an et demi plus tôt. « Là, je me souviens de m’être dit : “Claire, les ennuis commencent.” C’était un vendredi soir, le 18 juin… »

Les policiers informent la comptable qu’ils souhaitent prolonger la garde à vue de son époux afin de mener une perquisition dans la résidence secondaire du couple, en Normandie. Ils ont déjà conduit, dans l’urgence, deux perquisitions dans leur appartement parisien ! Une première fois pour les cédéroms, la seconde dans le cadre de la plainte pour vol. « Juste avant d’y retourner, la seconde fois, je sais qu’ils s’étaient fait remonter les bretelles par le parquet de Nanterre, affirme Claire Thibout. “Il faut absolument trouver quelque chose”, leur avait dit Courroye. Ils ont donc ramené mon mari à l’appartement. Avec les menottes. Ils ont tout retourné, ils ont même questionné mon fils de 10 ans pour savoir où l’on cachait des choses… » Claire Thibout est d’autant plus choquée que son fils revenait ce jour-là de l’hôpital, où il avait subi une intervention quelques jours plus tôt. « Pour la Normandie, les policiers ne voulaient pas y aller, mais le parquet de Nanterre leur a mis une telle pression… Ils n’ont pas eu le choix. »

Direction la maison de campagne, donc. Claire Thibout reprend son récit. « On est partis du XIIIe en voiture, il a fallu qu’on repasse une nouvelle fois chez moi pour que je prenne les clés de la maison. Ils étaient quatre policiers avec leurs armes. Les enfants ne comprenaient pas. Ils m’ont mis dans une voiture banalisée avec gyrophare, ils conduisaient comme des fous. Ils m’avaient demandé de m’installer à l’arrière, sur le siège à l’opposé de celui du conducteur, pour éviter tout incident. Comme si j’allais me jeter sur lui… Mais bon, j’imagine que ce sont les consignes. Ces policiers étaient très courtois, au contraire de ceux qui ont fouillé l’appartement, particulièrement désagréables et convaincus que je cachais des choses inavouables. Grâce au gyrophare, on a été là-bas en une heure et demie, un record pour un vendredi soir ! »

Dans la maison, les policiers fouillent absolument tout, regardent les photos personnelles, vont jusqu’à saisir de vieilles disquettes informatiques… Ils se montrent intéressés par une chemise cartonnée contenant divers documents et sur laquelle figure l’inscription « F2B ». « Ils étaient suspicieux, persuadés que cela voulait dire “Françoise Bettencourt”. » En fait, cela signifiait en abrégé “fournitures de bureau”, sourit tristement Claire Thibout. Je commençais à ne pas me sentir bien, à force de répondre à des questions du style : “À quoi ça sert, ça ?” Cela a quand même duré jusqu’à 2 heures du matin. En les voyant fouiller tous les recoins, me questionner comme si j’étais coupable, j’ai commencé à m’inquiéter, prenant sans doute conscience de l’importance de cette affaire, que ce n’était pas un petit truc. Pourtant, mon avocat, Antoine Gillot, que je connais de longue date, avait été plutôt rassurant. Je lui avais parlé dès avant 2006 de ce que je voyais dans l’hôtel particulier de Neuilly, je voyais les choses mal tourner, j’avais peur d’être considérée comme complice, on voulait me faire faire des choses pas claires… »

La comptable se rappelle que, au début de son interrogatoire, les policiers lui avaient parlé d’un vol de documents, mais sans être capables de lui dire de quels documents il s’agissait. Et pour cause, ce « petit détail » n’était même pas précisé dans la plainte de Me Kiejman, manifestement rédigée en catastrophe. Aux enquêteurs, elle indique que, dans le cadre d’un protocole d’accord intervenu à la suite de son licenciement, tous les documents comptables, fiscaux et autres, avaient bel et bien été restitués et que son avocat en a la preuve. « Ils ont alors téléphoné devant moi à Antoine Gillot qui leur a confirmé la véracité de mes dires et leur a immédiatement communiqué une copie du protocole d’accord. Par la suite, ils ont demandé à mon avocat de leur transmettre le justificatif de la restitution de ces documents, ce qu’il a fait. Parmi les pièces restituées figuraient les carnets des retraits d’espèces que j’effectuais. C’est à partir de ce moment-là qu’ils ont commencé à s’intéresser à ces retraits d’espèces. Ils m’ont alors demandé où se trouvaient ces carnets. »

Dans ces carnets de caisse, la comptable recensait les nombreuses remises d’argent liquide effectuées par André et Liliane Bettencourt – une tradition maison. Après son départ, elle les avait remis à Me Fabrice Goguel, l’avocat fiscaliste de la famille, ce qu’elle indique aux policiers. Ces derniers tentent de le joindre immédiatement, sans succès : il est en vacances. « Tout cela m’inquiétait car je savais qu’il y avait des noms dans ces carnets. J’avais pris soin, à la demande de M. Bettencourt, de ne pas les remettre à Patrice de Maistre [gestionnaire de fortune du couple], en qui il n’avait pas confiance, et je ne voulais pas que certaines personnes mentionnées dans les carnets aient des ennuis. »

Finalement, Claire et son époux sont remis en liberté le week-end, mais la comptable a désormais conscience que « tout cela [va] être plus compliqué que prévu ». Les jours suivants, tandis que le scandale ne cesse d’enfler publiquement, les choses semblent en revanche se calmer pour Claire Thibout. Certes, elle est bien réentendue, pour d’autres « précisions », le mercredi 30 juin, mais nulle raison de s’inquiéter. Pourtant, le vendredi 2 juillet dans l’après-midi, elle est reconvoquée, pour le lundi 5 juillet au matin. Le vendredi dans la matinée, son avocat a fait des déclarations sur RMC, au micro de l’accrocheur Jean-Jacques Bourdin, évoquant de possibles financements politiques.

« Au début, tout se passe bien, assure la comptable. Ce n’étaient pas toujours les mêmes policiers qui m’interrogeaient, sans doute volontairement : ils voulaient vérifier si je disais la même chose à l’un ou à l’autre. » Alors que Claire Thibout est dans leurs locaux, les policiers joignent enfin sur son portable Me Goguel, qui revient tout juste de congés. Ils vont même le chercher à l’aéroport directement, et lui réclament les fameux carnets. « Au moins, il confirme mes déclarations, se rappelle Claire Thibout. Les policiers semblent satisfaits, ça leur va, et ils me raccompagnent même chez moi en fin de matinée. Mais, en début d’après-midi, ils me rappellent en me disant que le parquet n’est pas content, qu’il faut qu’ils me réinterrogent sur les carnets de caisse. Le matin, je leur avais déjà expliqué que je disposais d’un accréditif me permettant de retirer 50 000 euros en espèces chaque semaine, que dans la maison de Neuilly on payait beaucoup de choses en espèces… » Claire Thibout s’était rendu compte ce matin-là à quel point ses déclarations intéressaient le pouvoir. « Dès qu’on faisait un PV, ça remontait immédiatement à la direction de la PJ puis au parquet qui demandait à ce que l’on me repose des questions. Les enquêteurs subissaient une pression terrible. »

Priée donc de revenir rue du Château-des-Rentiers, Claire Thibout renâcle. « Au téléphone, j’ai senti mon interlocuteur énervé. Les policiers s’étaient déjà fait secouer par le parquet pour la perquiz’. » Un dialogue de sourds s’engage. « Écoutez, c’est fatigant tout ça, je reviendrai demain, lance la comptable. – Non, non. Le parquet veut ça pour ce soir. On va venir chez vous tout de suite », réplique le policier au bout du fil. « J’étais un peu surprise. Cela ne m’a pas beaucoup plu, car je ne voulais pas encore infliger ça à mon fils et ma fille. Les policiers ont donc débarqué avec un ordinateur et une imprimante pour faire les PV. Et là, ils m’interrogent longuement sur l’argent de caisse, ce qu’en fait exactement Mme Bettencourt… Il faut comprendre mon état d’esprit à ce moment-là. La veille, le dimanche midi, à l’occasion de l’anniversaire de mon fils, on a fait un repas de famille. Ma sœur, qui est expert-comptable, comprend que je vais être embêtée. Jusqu’alors, je n’avais jamais rien dit de ce qui se passait chez les Bettencourt, notamment s’agissant de l’argent liquide, ni à ma famille ni à personne d’autre. Ma famille est catholique, avec des principes assez rigides. Ma sœur m’a dit : “Après tout, tu n’as rien fait de mal, le mieux est que tu dises tout.” Mais elle ne savait pas ce que je savais. Ensuite, elle me dira qu’elle regrettait de m’avoir conseillé de parler, vu les ennuis que ça m’a attirés… » Une chose est sûre, comme elle le dit elle-même, Claire Thibout était « déterminée à parler » aux policiers. « D’autant, ajoute-t-elle, que maintenant qu’ils avaient récupéré les carnets, ils pouvaient constater l’existence de mouvements importants. Par ailleurs, j’avais accepté le principe d’une interview avec le journaliste de Mediapart qui avait publié des extraits des enregistrements de Pascal Bonnefoy. Les policiers ont tellement insisté, et comme je ne voulais pas qu’ils l’apprennent par la presse, alors j’ai parlé. »

Claire Thibout va dévoiler les petits secrets les mieux gardés de l’hôtel particulier de la rue Delabordère, à Neuilly-sur-Seine, où l’héritière de l’Oréal et son mari ont élu domicile.

« Donc je leur raconte que les Bettencourt donnaient de l’argent à des politiques. Évidemment, ils veulent savoir qui. Et là, je leur raconte, notamment, comment de Maistre m’a demandé de l’argent… Et je détaille l’épisode Woerth-de Maistre, qui m’avait choquée, surtout parce qu’à l’époque Dédé, comme on surnommait André Bettencourt dans la maison, était malade et que Liliane n’avait plus toute sa tête. J’explique que de Maistre m’a demandé de retirer 150 000 euros destinés à Éric Woerth pour le financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Là, j’ai vu que les policiers étaient satisfaits : “Ah, vous allez être délivrée d’un poids maintenant.” Et ils sont repartis. Là, je me suis dit que cette histoire prenait quand même des proportions considérables, avec l’évocation du nom de Sarkozy et de sa campagne électorale. Je me doutais que ce serait un peu lourd à assumer, mais pas à ce point-là. Ensuite, dans la soirée, j’ai fait l’interview au téléphone avec le journaliste de Mediapart. On a décidé d’accélérer le processus, car le journaliste pensait que ma déposition risquait de fuiter rapidement. »

De fait, le dimanche soir, lors d’une première rencontre, avaient été jetées les bases d’un entretien qu’il avait été convenu de finaliser au cours de la semaine. Mais, d’un commun accord, au vu de l’accélération soudaine de l’enquête, les deux parties décident le lundi soir d’anticiper la publication de l’interview. Au cours de laquelle Claire Thibout va plus loin qu’elle ne l’a fait devant la PJ, désignant notamment Nicolas Sarkozy comme l’un des destinataires probables des enveloppes en liquide dont les Bettencourt gratifiaient, semble-t-il, beaucoup d’hommes politiques. Elle ne demande pas à valider ses propos, peut-être ne saisit-elle pas encore le poids de ses mots. Neuf mois plus tard, sollicitée pour ce livre, elle n’acceptera de s’exprimer qu’à la condition de pouvoir relire et contrôler soigneusement ses déclarations. Elle a payé pour apprendre. Un prix exorbitant.

Retour au mardi 6 juillet 2010, à l’aube. Mediapart met en ligne l’entretien sous le titre-choc : « L’ex-comptable des Bettencourt accuse : des enveloppes d’argent à Woerth et à Sarkozy ».

Claire Thibout est réveillée par son avocat qui, pressentant la déflagration médiatique, lui propose de se mettre au vert, ce qu’elle refuse dans un premier temps. « Puis je découvre l’article, et, là, je prends peur, je n’avais pas imaginé ça… Ensuite, ça a été la folie. Il y avait des journalistes qui m’attendaient devant le centre social où je travaillais, l’un d’eux était même monté avec une caméra dans mon bureau ! Mon mari m’appelle pour me dire que des journalistes l’attendent aussi devant son magasin d’informatique. Antoine Gillot me redit de partir au vert. Il a raison. Je me dis : pas en Normandie, car on va facilement retrouver ma trace. On pense alors avec mon mari à mes cousins, qui habitent près d’Arles. On les appelle pour les prévenir tout en leur disant qu’on ne peut rien leur dire au téléphone. Nous sommes donc partis. »

Le mari de Claire profite du fait que l’immeuble du couple comporte une seconde sortie pour prendre un taxi en douce et filer gare de Lyon, où il retrouve sa femme. « J’ai moi aussi réussi à quitter mon travail en taxi pour le rejoindre. Nos enfants angoissaient. On leur a tout expliqué. On a dû attendre quatre ou cinq heures dans la gare, mais, au moins, on était anonymes dans la foule des vacanciers. On a eu un train en fin d’après-midi, et on est arrivés vers 22 heures. » Les cousins de la comptable résident à Fourques, un patelin minuscule, dans le Gard. « J’étais épuisée et à bout de nerfs. J’ai débranché mon portable et j’ai été me coucher », se remémore Claire Thibout. Ses ennuis ne font pourtant que débuter.

Le lendemain matin, mercredi 7 juillet, vers 11 heures, elle se décide à rallumer son téléphone. Elle trouve un message de son avocat lui disant qu’elle doit rentrer à Paris, que la police la cherche d’urgence. Puis un gendarme sonne et lui enjoint de contacter la brigade financière. Inquiète, elle appelle, mais le policier de la BF dont le gendarme lui a donné le numéro est parti déjeuner. Elle décide donc de prendre la direction de la gare d’Avignon, afin de prendre un train pour Paris. À peine montée en voiture, son portable sonne. « Ne partez surtout pas, restez là où vous êtes, on vous donnera la marche à suivre », lui intime un policier. Retour vers Fourques, donc. « Et là, je découvre, ahurie, deux cars de CRS et plusieurs estafettes de gendarmerie devant la maison de mes cousins ! Dans ce village où tout le monde se connaît, chacun s’interroge, le maire lui-même vient aux nouvelles. Je me sentais vraiment mal. De toute façon, quand j’ai su qu’ils ne voulaient pas que je remonte, j’ai compris qu’il y avait un truc qui clochait, j’avais un très mauvais pressentiment. Mon cousin m’a dit : “Ils le font exprès, ils veulent te faire mijoter, te faire peur.” Il avait raison. Les cars de CRS étaient là uniquement pour me mettre la pression. Outre les CRS, il y avait aussi des enquêteurs de la brigade financière locale. Je les interroge, mais ils me disent qu’ils ont pour instruction de patienter, qu’ils attendent les consignes. Alors je rentre à la maison, et j’attends, j’attends… Je n’arrête pas de me répéter que je n’ai rien fait de mal, mais je gamberge vraiment. »

Claire Thibout ignore à ce moment-là que, à Paris, au sommet du pouvoir, la mobilisation générale a été décrétée. La consigne est claire : il faut « s’occuper » en urgence de cette petite comptable qui a osé mettre en cause le président. Nicolas Sarkozy lui-même prend l’affaire en main. Dans son livre M. le Président, Franz-Olivier Giesbert écrit, à propos de l’interview donnée à Mediapart par Claire Thibout : « Après la diffusion de ses déclarations, tous les moyens de l’État sont déployés, toutes affaires cessantes, pour retrouver la comptable, partie en vacances du côté d’Arles. Le chef de l’État harcèle son ministre de l’Intérieur au téléphone : “Qu’est-ce que tu fous ? Qu’attendez-vous pour la localiser ?” » Brice Hortefeux, comme toujours, a exécuté sans discuter l’injonction de son mentor.

Finalement, au bout de plusieurs heures d’une attente angoissée, Claire Thibout est informée par téléphone qu’une équipe de la BF va descendre de Paris tout spécialement. Ils débarquent à 19 heures. « Ils m’ont fait peur, ils étaient quatre hommes et une femme et ont surgi par la cuisine plutôt que par l’entrée principale. Ils ont dit à mes cousins de “dégager”, puis m’ont lancé : “Vous savez pourquoi on vient.” Ils m’ont dit qu’ils voulaient me questionner sur l’interview accordée à Mediapart, qu’ils allaient m’interroger au commissariat de Nîmes où, disaient-ils, ils ne pourraient pas me mettre en garde à vue. Ils me font comprendre que je peux refuser, mais que cela risque de m’attirer des ennuis. Ils m’informent que, après une nouvelle audition, ils me laisseraient retourner à Fourques mais me ramèneraient à Paris le lendemain matin ! Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’ai pris mon portable avec moi car ils m’avaient dit qu’ils ne me reconduiraient pas à Fourques, qui est à une trentaine de kilomètres de Nîmes. »

La comptable se souvient que les policiers, dont certains l’avaient déjà interrogée à Paris, « avaient changé de comportement ». « Ils étaient très nerveux, crispés, ne me lâchaient pas, explique-t-elle. Ils avaient l’air d’avoir peur que je me sauve. Je leur ai pourtant expliqué que je ne fuyais pas la justice, mais les journalistes. » Effectivement, littéralement traquée par la presse, elle avait trouvé jusque dans sa boîte aux lettres, à Paris, des mots de journalistes, avec leurs coordonnées, disant : « Rappelez-moi », « On ne vous veut pas de mal », etc.

« Mais les policiers étaient vraiment suspicieux : “Pourquoi avez-vous pris la fuite ?” me répétaient-ils. Puis ils m’ont dit : “Le journaliste de Mediapart ne vous a pas embêtée ?” J’ai répondu : “Non, pas du tout.” Ils pensaient – ou feignaient de penser, je ne sais pas – qu’il m’avait harcelée. Je leur ai dit que ce n’était absolument pas le cas. J’étais totalement perturbée, je ne me rappelais même plus du nom du journaliste. Ils voulaient tout savoir. Je leur ai dit que j’avais fait sa connaissance via mon avocat et qu’il m’avait jointe le soir sur mon portable. Puis ils m’ont requestionnée sur toutes mes réponses dans l’interview, et pourquoi j’ai dit ça, et pourquoi je n’avais pas dit ça à la police, etc. Je leur ai dit que j’avais spontanément parlé de l’épisode de Maistre-Woerth. » C’est à ce moment-là que le nom du président de la République s’est invité dans l’audition – de plus en plus tendue.

« Puis est venu le cas Sarkozy. Là, je ne me sentais pas bien. J’étais vraiment dans la position de l’accusée. Les policiers voulaient me faire dire que Mediapart était un journal de voyous. Alors je leur ai répondu que je n’avais pas formulé ma réponse aussi précisément que ça, que j’avais dit qu’il y avait des politiques qui venaient à la maison, parmi lesquels Sarkozy, et que je me doutais qu’ils devaient recevoir de l’argent. Concernant Sarkozy, je me souviens d’avoir précisé que je n’avais pas de preuve, mais qu’il pouvait avoir touché de l’argent. » Au fur et à mesure que ses déclarations se font de plus en plus précises, Claire Thibout sent la pression croître sur ses épaules. De témoin, elle est devenue accusée. Elle a le sentiment d’être plongée dans un thriller dans lequel elle endosserait le mauvais rôle. Comme dans Witness, le film de Peter Weir, où un enfant est menacé pour avoir vu une scène à laquelle il n’aurait jamais dû assister.

« Et puis, glisse Claire Thibout encore émue, à un moment, comme je me sentais vraiment très mal, j’ai lâché sur un point précis, celui du financement éventuel de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur, que les propos figurant dans l’article de Mediapart relevaient de la “romance”. C’est cette expression qui sera ensuite utilisée pour tenter de décrédibiliser mon témoignage. D’avoir utilisé ce mot, “romance”, bien sûr que je le regrette, car il a été exploité pour me faire dire des choses que je ne voulais pas dire. Je n’ai pas mesuré que tout cela allait être exploité politiquement, j’avais une telle pression… »

Claire Thibout reprend le fil de sa narration. « La conversation est revenue sur Sarkozy. Là, dans ce commissariat sinistre, face à plusieurs policiers déterminés, je me suis rendu compte de ce qui se passait. Je mesurais les conséquences de l’interview. Je me suis dit, s’agissant du passage sur Sarkozy : “Je ne peux pas assumer ça.” Donc, je me suis contentée de dire qu’il “pouvait avoir touché”, car, comme je l’ai toujours dit, je n’avais jamais été témoin direct d’une remise d’espèces à un politique. Mais les policiers n’étaient pas contents, ils voulaient que je leur dise que tout était faux. Ils subissaient eux-mêmes une incroyable pression. À chaque feuillet tapé, l’un des quatre policiers faxait le PV à sa hiérarchie et au parquet de Nanterre, qui rappelait pour faire changer tel ou tel mot. C’était incroyable. »

Finalement, Claire Thibout est remise en liberté. À 2 heures du matin. « Ils ne m’ont même pas raccompagnée… Et en guise d’au revoir, m’ont dit que je devais être à 9 heures le lendemain matin à Paris, et m’ont fait comprendre que je devais prendre le même train qu’eux, dont ils m’ont donné les références. Quel enfer… J’ai dormi deux heures, et me suis retrouvée à la gare d’Avignon à 5 heures. Épuisée, je me suis trompée de train, il y en avait deux, à cinq minutes d’écart, qui allaient à Paris. Lorsqu’ils ont vu ça, les policiers ont annulé le leur et sont montés dans le mien, sans billet, en montrant leurs cartes de police. Moi, personne n’a remboursé mon aller-retour ! Je me suis mise dans un coin pour dormir, mais ils m’ont forcée à m’installer à côté d’eux. Ils ne me lâchaient pas. Quand j’ai été prendre un café au bar, il a fallu qu’ils me suivent. Je n’ai pas eu un moment seule. Finalement, j’ai dormi un peu, mon sac à main calé sous ma tête, je n’avais pas confiance ! De toute façon, au commissariat, ils avaient déjà vidé mon sac, noté tout ce qu’il y avait dedans, confisqué ma clé USB… »

Dans le train, Claire Thibout a droit au classique numéro du bon flic/mauvais flic. « Il y avait un policier jeune, qui était là pour m’amadouer. Un autre, à l’inverse, continuait à me mettre la pression. Il me disait : “On sait que vous avez des documents, si vous ne les donnez pas, ça va mal se passer.” Arrivée gare de Lyon, je n’étais pas au bout de mes peines. On a foncé à la brigade financière, où je suis restée de 9 heures à 21 heures. J’ai dû me contenter d’un sandwich, d’eau et d’un café. Ils ne me lâchaient toujours pas, m’accompagnant jusqu’aux toilettes. Et ça a recommencé : toute la journée ils m’ont réinterrogée en détail sur l’interview donnée à Mediapart, avec toujours le même objectif : me faire revenir sur mes propos. Il n’y a que ça qui les intéressait. »

Dans l’après-midi, Claire Thibout, harassée, à bout de nerfs, est confrontée à Patrice de Maistre, afin d’éclaircir l’épisode de la remise d’argent destiné à Éric Woerth. « Ça s’est mal passé avec de Maistre, qui niait tout. Il disait que j’affabulais. Et j’avais le sentiment que les policiers ne me croyaient pas. Une policière m’a lancé, agressive : “Pourquoi faites-vous de M. de Maistre l’ennemi public numéro un ?” Mais j’ai maintenu mes propos. Je leur ai dit : il y a des faits, et j’ai des preuves. Je ne suis donc pas revenue sur mes déclarations devant de Maistre. »

Une nouvelle épreuve attend la comptable : elle doit maintenant être confrontée à Eva Ameil, la responsable de la BNP auprès de qui elle avait sollicité une augmentation exceptionnelle de son accréditif hebdomadaire, afin de pouvoir satisfaire la demande de Patrice de Maistre.

« Je pensais qu’elle confirmerait notre entretien téléphonique relatif à l’épisode du retrait. Je la connaissais depuis treize ans, on entretenait les meilleures relations, je l’avais d’ailleurs invitée à mon pot de départ fin 2008. Quand je l’ai vue entrer, coincée, faisant semblant de ne pas me connaître, j’ai compris qu’elle allait nier. Effectivement, elle a contesté avoir reçu un coup de fil de ma part lui demandant de pouvoir retirer 150 000 euros. Je lui ai lancé : “C’est marrant d’être amnésique comme ça.” Heureusement, comme elle éludait les questions, notamment sur Tracfin [les banques sont tenues de signaler à l’organisme antiblanchiment les retraits suspects], je crois que les policiers ont senti qu’elle n’était pas claire. On a signé le procès-verbal, j’ai quitté la police vers 21 heures et j’ai été voir mon avocat. C’est là que je me suis souvenue qu’Eva Ameil était la meilleure amie de la sœur de de Maistre. Totalement perturbée par tous ces événements, je n’avais pas eu la présence d’esprit de le dire lors de la confrontation. Antoine Gillot a immédiatement appelé le commissaire pour lui signaler ce point essentiel. Mais bon, j’étais de plus en plus inquiète. Je disais la vérité, mais d’un seul coup, tout se retournait contre moi : de Maistre, Amiel, puis une erreur de date sur le moment où avait été retiré l’argent destiné à Woerth… Comment aurais-je pu m’en souvenir précisément, sans mes carnets ? Seule avec ma version, face à l’État français finalement, j’ai commencé à avoir peur… »

Ballottée quarante-huit heures durant d’un service de police à l’autre, Claire Thibout ne mesure pas, alors, qu’à l’extérieur, son témoignage a viré à l’affaire d’État. D’autant qu’il a donné lieu à l’une des plus formidables manipulations médiatiques de ces dernières années. Dans la matinée du jeudi 8 juillet, alors que Claire Thibout n’est sortie du commissariat de Nîmes que depuis quelques heures, le site internet du Figaro met en ligne un papier titré : « Claire Thibout dénonce “la romance de Mediapart” ». L’article n’est pas signé, ce qui est parfaitement aberrant pour une information de cette importance, et s’appuie sur des extraits tronqués de la déposition de la comptable recueillie quelques heures plus tôt seulement par la PJ. Jamais sans doute un procès-verbal n’avait fuité aussi rapidement. Ce n’est pas tout : le site reproduit un extrait soigneusement choisi du PV en fac-similé (l’édition papier du quotidien fit de même, en une, le lendemain). Une violation caractérisée du secret de l’instruction : les journalistes n’y sont certes pas soumis, mais peuvent être poursuivis pour « recel » de ce délit. En clair, ils peuvent utiliser des éléments issus d’une procédure, mais en aucun cas détenir des pièces. Le site internet du journal conservateur a fait preuve en l’espèce d’une telle imprudence qu’il est difficile de ne pas y voir l’assurance de pouvoir agir en toute impunité.

De fait, alors que l’État, à deux reprises, via le contre-espionnage et le parquet de Nanterre, a déployé un zèle considérable pour tenter d’identifier les sources des journalistes du Monde coupables d’avoir publié des informations dérangeantes sur cette affaire, la Chancellerie se gardera bien cette fois d’intervenir : aucun parquet de France ne lancera la moindre procédure sur la violation flagrante du secret de l’instruction dont s’est rendu coupable Le Figaro, alors qu’en l’espèce le délit était constitué… Cette exemplaire opération de désinformation choqua d’ailleurs une grande partie de la rédaction du Figaro. La Société des journalistes (SDJ) dénonça en effet dans un communiqué cinglant « un PV tronqué, assorti d’un article non signé, qui participait à l’évidence de la stratégie de communication de l’Élysée ». Patron de la rédaction du quotidien détenu par Serge Dassault, Étienne Mougeotte, notoirement proche de l’Élysée en général et de Claude Guéant en particulier, fut directement mis en cause par la SDJ : « Il a publié des accusations sans les avoir vérifiées. Il a orienté le témoignage de l’ancienne comptable pour lui faire dire autre chose que ce qu’elle voulait dire. »

Comme s’il fallait en plus signer le crime, Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, se félicita, dans une déclaration à l’Agence France-Presse, quelques minutes après leur publication sur le site internet du Figaro, des propos de Claire Thibout, dont le sens général avait été sciemment déformé. « Le fait que la vérité soit rétablie fait toujours plaisir », pérora Claude Guéant, affirmant que les accusations visant Éric Woerth et Nicolas Sarkozy se trouvaient ainsi balayées. Dans le même temps, les porte-flingues de l’UMP, Xavier Bertrand en tête, après avoir dénoncé les « méthodes fascistes » de Mediapart, se relayèrent sur toutes les antennes pour expliquer que l’affaire Woerth-Bettencourt était terminée.

Ils durent vite déchanter. D’abord parce que les attaques extraordinairement violentes du pouvoir contre la presse provoquèrent un tollé. Surtout, rapidement, la publication, cette fois dans son intégralité, du fameux procès-verbal, notamment par lemonde.fr, attesta au contraire que la comptable avait maintenu devant la police l’essentiel de ses déclarations à Mediapart. Dans la matinée du jeudi 8 juillet, Le Monde avait, comme d’autres médias, été destinataire d’extraits tronqués de la déposition de Claire Thibout. De nombreux journalistes de la presse écrite ou audiovisuelle ont depuis raconté à quel point il avait été aisé pour eux, ce jour-là, d’obtenir des extraits, soigneusement choisis au préalable, de la déposition de l’ancienne comptable des Bettencourt, qui leur furent communiqués par le parquet de Nanterre, le ministère de l’Intérieur, la préfecture de police de Paris ou l’Élysée directement.

C’est par son avocat que Claire Thibout a appris l’existence de l’article du Figaro. Elle raconte : « Il m’a dit : “Mais tu es revenue sur tes déclarations ?” Et moi, stupéfaite : “Mais non, je ne suis revenue sur rien.” Antoine Gillot s’est renseigné sur ce fameux article qui, bizarrement, n’était pas signé. On lui a dit : “Ça vient de plus haut.” Du coup, j’ai acheté Le Figaro. J’ai un peu halluciné. Je me suis dit : “C’est un paquet de mensonges !” On avait tronqué mes déclarations, truqué mes propos, je n’en revenais pas… »

Après cet épisode, la comptable pense que les policiers, mandatés par le parquet de Nanterre, vont enfin la « laisser un peu en paix ». « Pas du tout, s’exclame-t-elle. Ils ne m’ont pas lâchée pour autant. Ils ont pensé que j’allais craquer, mais cela ne marchait pas. Au contraire, les dénégations de de Maistre m’avaient mise en colère. Pour me mettre la pression, ils ont donc continué à me convoquer, sous des prétextes divers. J’ai été interrogée douze fois au total ! Ils me téléphonaient, me demandaient de venir au Château-des-Rentiers. Très vite, ils ne m’ont mise qu’avec des équipes de policières. En l’occurrence, je dois dire que les femmes policières ont été plus dures avec moi. Elles étaient hargneuses, elles essayaient de me convaincre de dire certaines choses, en étant plus ou moins menaçantes. En plus, ils changeaient d’équipe à chaque fois, pour que je ne m’habitue pas, comme pour mieux me déstabiliser. Il n’y avait jamais de tête-à-tête, j’avais toujours deux ou trois personnes face à moi. Au début, le but du parquet de Nanterre était que je revienne sur mes propos concernant l’argent versé aux politiques. Quand ils ont vu que je ne revenais pas sur mes déclarations, ils ont tenté de prouver que j’avais écouté les enregistrements clandestins, puis que mon mari savait plus de choses qu’il ne le disait, etc. Ils étaient tellement en colère de ne rien avoir obtenu de moi qu’il fallait absolument trouver quelque chose. Et puis, changement de décor, lorsque je suis convoquée par Isabelle Prévost-Desprez. »

La première rencontre entre les deux femmes a lieu le 16 juillet.

Dans l’intervalle en effet, la présidente de la XVe chambre du TGI de Nanterre, en guerre ouverte avec le procureur Courroye, s’est autosaisie, sur la base des enregistrements clandestins, d’un « supplément d’information » dans le cadre du procès, qu’elle s’apprête à présider, intenté par la fille de Liliane Bettencourt contre François-Marie Banier. Quoique limitée par sa saisine, à savoir un éventuel délit d’« abus de faiblesse » qui pourrait être reproché au dandy, Isabelle Prévost-Desprez va conduire une enquête parallèle à celle menée par le parquet, soulignant en creux la partialité du ministère public dans la conduite du dossier Bettencourt. Abordant avec un a priori favorable cette audition par une magistrate indépendante, Claire Thibout en profite pour lui confier un élément susceptible d’être embarrassant pour elle, à savoir que, après son licenciement de Clymène, elle avait reçu de Françoise Bettencourt Meyers une somme de 400 000 euros au titre de dédommagement. De là à penser que son témoignage aurait été acheté par la fille de Liliane Bettencourt… Un raccourci absurde, comme l’atteste la chronologie, mais dont le parquet de Nanterre tente de se servir pour décrédibiliser la malheureuse comptable.

« On avait convenu avec mon avocat que je parle à Isabelle Prévost-Desprez des 400 000 euros réglés par Françoise Meyers, confirme-t-elle. Les policiers ont été furieux de découvrir ça, que je ne leur aie rien dit à eux ! Mais ils ne m’avaient pas posé la question… Du coup, ils m’ont encore convoquée, à plusieurs reprises. C’est à ce moment-là que j’ai enfin remis la main sur mon carnet de 2007, que j’avais égaré chez moi. » Une découverte très précieuse, car ce calepin donnait du crédit au récit de la comptable sur le point le plus sensible : la remise à Patrice de Maistre des fonds destinés à Éric Woerth.

« Et là, soulagement, car les dates correspondaient, se remémore Claire Thibout. Les mentions confirmaient le rendez-vous et la remise de l’argent à de Maistre via Liliane et, le lendemain, l’existence d’un rendez-vous entre de Maistre et Woerth. Je n’avais pas écrit “Woerth” sur mon carnet mais “trésorier”. Je procédais ainsi : sur mes carnets, pour des raisons de discrétion, je ne mettais quasiment jamais les noms des destinataires des espèces. Mon carnet 2007 était évidemment un élément important, qui confirmait mes déclarations précédentes et crédibilisait le fait que de Maistre avait eu pour mission de remettre des fonds au trésorier de l’UMP pour la campagne présidentielle de Sarkozy. Les enquêteurs ne s’y sont pas trompés. Quand j’ai été convoquée cette fois-là, c’est un haut gradé qui m’a questionnée, je crois que c’était le directeur de la brigade financière lui-même. Et là, incroyable, voilà que les policiers essaient de me faire dire que le “trésorier” que je mentionnais dans mon carnet devait être Arnaud Benoît, le trésorier de… Clymène ! J’ai ri et je leur ai assuré que ce n’était pas lui mais bien le trésorier de l’UMP. Jusqu’au bout, ils auront tenté de me faire dire que ce n’était pas Woerth qui était désigné. »

Malgré la confirmation du rendez-vous entre de Maistre et Woerth, Claire Thibout a eu l’impression de ne pas être crue par les policiers, d’être poussée à changer de version. « J’ai vraiment eu le sentiment que l’acharnement dont j’étais l’objet n’en finirait jamais. Histoire de ne pas relâcher la pression, ils m’ont même dit de ne pas partir trop loin en vacances. D’ailleurs, dès la fin du mois d’août, j’ai de nouveau été convoquée. Heureusement, il y avait Isabelle Prévost-Desprez, elle a été ma bouée de sauvetage. »

S’agissant de la présidente de la XVe chambre, Claire Thibout n’a que des mots aimables. « Déjà, elle a fait en sorte que mes deux auditions avec elle se passent le plus discrètement possible. Avec elle, c’était très simple. D’abord, elle était courtoise. Elle m’a dit d’entrée : “Je vous pose des questions, et vous me dites ce que vous savez, tout simplement.” Elle, elle cherchait la vérité, sans a priori. Dans l’enquête du parquet, on cherchait à me faire passer pour une affabulatrice ! C’est vrai que j’ai été soulagée de la rencontrer. Enfin quelqu’un qui n’est pas de parti pris, ni dans un sens ni dans l’autre, d’ailleurs. Elle m’a demandé de raconter le harcèlement policier dont j’avais été l’objet, notamment à Arles, lorsqu’on m’a traitée comme une suspecte… Elle m’a dit : “Il faut dire ce qui s’est passé car c’est absolument anormal.” » De fait, lors de son audition devant Mme Prévost-Desprez, le 16 juillet, la comptable ne mâche pas ses mots : « J’ai eu l’impression pendant ces journées d’être traitée comme une voleuse, mes enfants étaient inquiets. Mon fils pleurait en se demandant ce qui se passait […]. Je suis choquée parce que je considère avoir été harcelée alors que je n’étais que témoin. J’ai eu la sensation d’être traitée comme l’ennemi public numéro un. Ma famille a été ébranlée par tout cela. »

C’est sans doute ce qui a le plus déstabilisé Claire Thibout durant ces folles semaines : le comportement des enquêteurs à son égard, et plus généralement le traitement que lui a infligé le parquet de Nanterre.

« Ça m’a vraiment fait bizarre d’être traitée comme une délinquante par les policiers, dit-elle. Surtout quelqu’un comme moi. J’ai été élevée dans une famille très droite, avec des principes de rectitude bien ancrés. Ainsi, quand je me trompais dans ma caisse, je le disais à Liliane Bettencourt, alors que, bien évidemment, elle ne se serait rendu compte de rien. Il aurait été si facile pour moi de détourner de l’argent régulièrement… Elle me disait : “Mais Claire, qu’est-ce que j’en ai à faire qu’il manque quelques centaines d’euros dans la caisse, on s’en fiche complètement.” Et moi je lui répondais : “Peut-être, mais moi je suis comme ça…” D’ailleurs, les policiers ont épluché tous les comptes que j’avais tenus treize années durant, en espérant me piéger. Ils ont été déçus, car tout collait, au centime près. Je me souviens même qu’au moment de mon départ, après avoir fait les totaux, il y avait un trou de 200 euros. Eh bien, j’ai été au distributeur et, avec ma carte bancaire, j’ai retiré les 200 euros que j’ai mis dans la caisse. Question de principe. »

Les principes, justement. De ce point de vue, la comptable est tombée de très haut. « Avant cette affaire, confie-t-elle, j’avais une certaine idée de la justice : la droiture est la règle, et il est normal de punir les coupables, me disais-je. J’en suis un peu revenue. J’ai eu le sentiment que toutes les valeurs que l’on m’avait enseignées dans ma jeunesse étaient remises en question. Heureusement, ma rencontre avec Mme Prévost-Desprez m’a un peu réconciliée avec la justice. Elle au moins n’avait pas d’œillères et cherchait à savoir la vérité. Pourtant, elle ne m’a pas posé que des questions agréables, que ce soit sur les 400 000 euros ou une sombre invention d’appartements qui m’auraient été concédés. Mais elle est restée polie, et, surtout, elle voulait savoir exactement ce qui s’était passé. Alors que les autres avaient d’emblée porté un jugement négatif sur moi, ils voulaient me faire dire des choses fausses, et surtout que je revienne sur mes propos. En voyant se développer deux enquêtes parallèles, je me suis quand même dit que la justice était tombée sur la tête ! Parfois, les mêmes policiers m’interrogeaient à la demande de Courroye, puis de Prévost-Desprez. Mon mari a connu ça aussi. Un policier qui l’avait interrogé dans l’enquête du parquet l’a ensuite entendu à la demande de la juge Prévost-Desprez. Il lui a dit : “Là c’est bon, vous pouvez vous lâcher, c’est pour Mme Prévost-Desprez.” C’est juste aberrant. »

À l’issue de quelques semaines de vacances, au cours desquelles elle n’a pas vraiment réussi à décompresser, Claire Thibout s’est aperçue, à son grand désarroi, qu’elle était toujours ballottée par la tornade.

« À partir de la rentrée, après mes auditions chez Prévost-Desprez, ça s’est calmé judiciairement, mais pas médiatiquement, car tous les journalistes cherchaient ma photo. C’est pour ça que j’ai fait une émission télé, sur France 2 [« Complément d’enquête »], et que j’ai donné une photo à l’AFP, pour en finir avec le harcèlement médiatique dont j’étais l’objet. Fin juillet, il y avait eu une photo diffusée dans Le Parisien et Le Figaro, on me voyait avec mon caddie, près de ma maison de campagne. Puis il y en a eu une autre de moi, les cheveux hirsutes, sortant de Pôle emploi. Ce n’est pas pour moi que j’avais peur, mais pour mes enfants. Après l’émission, plutôt réussie je crois, tout le monde a compris que j’étais sincère, que je n’étais pas une folle furieuse. Ça a bien désamorcé les choses. »

Finalement, ce n’est qu’à la fin de l’année 2010, après le dessaisissement du tribunal de Nanterre par la cour d’appel de Versailles que la pression pesant sur les épaules de la comptable a fini par baisser. Mais, entre-temps, sa vie a été totalement dévastée. Sur tous les plans.

« Ma vie professionnelle a évidemment été profondément affectée par cette histoire, commence-t-elle. Après mon départ de Clymène, j’avais trouvé un job, en octobre 2009, dans une association semi-privée, subventionnée par l’État. » Une petite structure, qui gère une crèche, une halte-garderie, une PMI et un centre social, dans le XVe arrondissement de Paris, et recevant des subventions de la Caisse des allocations familiales (CAF), de la Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) et de la mairie du XVe. Claire Thibout en était la directrice générale. Une bonne place. Sa médiatisation brutale lui a porté un coup fatal.

« En raison de mes auditions incessantes par la police, de l’article de Mediapart et de mon exposition médiatique, ma situation professionnelle est devenue intenable, soupire-t-elle. J’étais devenue un véritable boulet pour cette association. Avec le président, nous sommes donc convenus d’une séparation à l’amiable car il m’était impossible de travailler dans la sérénité. Mais j’ai eu zéro indemnité. Et je suis partie, dès le début du mois de septembre 2010, comme ça, du jour au lendemain. Depuis, je suis au chômage. Pourtant, j’ai déjà envoyé plus de cent CV. J’ai été convoquée par plein de gens, mais je suis trop exposée désormais, ça fait peur. Du coup, dans mes CV, je suis obligée d’enlever toute référence à Bettencourt ! Je mets que j’ai travaillé pour une fondation, mais je n’écris pas que c’est la fondation Schueller. Je me présente aussi sous le nom de mon époux, car, jusque-là, j’avais conservé mon nom de jeune fille, Thibout. Il ne me reste plus qu’à changer de visage ! J’ai pourtant, je crois, un CV intéressant. J’ai, par exemple, fait plus de dix ans d’audit. Mais je vois bien que le problème n’est pas là. »

Elle a des dizaines d’anecdotes à livrer. « Un jour, un chasseur de têtes m’accorde un entretien, mon profil l’intéressait pour un poste me convenant parfaitement. Et, bien sûr, il m’a demandé le nom de la société pour laquelle j’avais travaillé entre 1995 et 2008, puisque je ne l’avais pas mentionné sur mon CV. J’ai dû lui dire que c’était Clymène. Et là, il a compris, il a fait le rapprochement : Clymène, c’est l’Oréal, et la comptable, c’est Claire Thibout ! Embarrassé, il m’a dit : “Euh, votre CV est vraiment bien, mais en fait, je crois que vous allez vous ennuyer à ce poste, finalement, cela ne vous conviendra pas.” Je n’ai pas été dupe. »

Au chômage, sans perspective de retrouver un poste à la mesure de ses compétences, Claire Thibout a le sentiment d’être une paria. De quoi se demander, avec le recul, si tout cela en valait la peine. C’est oublier que Claire Thibout est incroyablement entêtée. « Est-ce que je regrette ? Non, si c’était à refaire, je le referais, je redirais la même chose puisque c’est la vérité, coupe-t-elle. C’était mon devoir. Non, je ne regrette pas, même si ça a bouleversé complètement ma vie tant personnelle que professionnelle. »

Heureusement que ce petit bout de femme a un fort tempérament, car il faut pouvoir assumer les conséquences de l’affaire sur ses proches. « Il y a eu des discussions voire des disputes avec mon entourage, ma famille n’a pas compris l’histoire des 400 000 euros, pourtant tout à fait légitimes. Mes enfants ont beaucoup souffert. Ma fille de 14 ans, elle, entendait ce qu’on disait sur moi à la radio. Ça l’a beaucoup perturbée, elle disait à ses amis : “Ma mère n’est pas comme ça.” Surtout que, atavisme oblige, je l’ai élevée dans des principes moraux assez stricts. Alors, ça l’a déboussolée d’entendre dire autant de choses fausses sur sa mère. Et puis, les perquisitions étaient très dures. Ils ont été jusqu’à menotter mon mari ! Il a dû insister pour que les policiers les lui enlèvent devant les voisins et surtout les enfants. J’ai été seule au monde, même contre mon mari, qui pensait que je n’aurais pas dû me mettre dans tous ces ennuis. Mais il fallait que je dise ce que je savais. Toute ma vie je me serais reproché de n’avoir rien dit. »

Et lorsqu’on lui demande si elle éprouve de l’amertume, son regard, pour la première fois, s’embue. « À qui j’en veux le plus ? À de Maistre, car il était là pour protéger Liliane… » Sa voix se casse, elle ne parvient pas à finir sa phrase. Les liens qui l’unissaient à l’héritière de l’Oréal étaient extrêmement forts, comme si elle s’était sentie investie d’une mission de protection à la mort d’André Bettencourt, le 19 novembre 2007. Claire Thibout se reprend vite, en repensant à Patrice de Maistre, pour qui elle dit n’éprouver que mépris. « Moi aussi j’ai eu confiance en lui car pour moi, un expert-comptable, par définition, c’est un type forcément honnête. De Maistre savait que j’étais dangereuse pour lui, car je savais tout. C’est pour ça qu’il avait doublé mon salaire, à la fin. »

Elle en oublierait presque le parquet de Nanterre, qui lui a pourtant mené une vie infernale des semaines durant. « Courroye ? Il était totalement de parti pris, il n’avait qu’un seul objectif : me faire revenir sur mes propos, lâche-t-elle dans un haussement d’épaules. Parce que, par la force des choses, j’avais été amenée à parler de financements politiques et à mettre en cause le président de la République, j’étais devenue en quelque sorte l’ennemi public numéro un, et tout ça pour avoir dit la vérité. » Et le chef de l’État, qui s’est occupé personnellement de son cas ? « Quand j’ai entendu Nicolas Sarkozy faire allusion à moi à la télévision, j’ai ressenti un vertige. Je me suis dit : “Je suis au cœur d’une affaire d’État, moi !” Moi qui déteste être mise en avant, c’est tellement l’opposé de mon tempérament. Me retrouver l’un des personnages centraux d’une affaire d’État m’a paru complètement fou, j’ai commencé à avoir des angoisses terribles. »

Voilà, comme soulagée de s’être enfin totalement livrée, la comptable la plus célèbre de France prend congé, affichant ce petit sourire triste qui semble ne plus devoir la quitter. « Je ne suis pas sûre que mon cauchemar soit terminé. Je sais hélas que rien n’est fini et que j’ai toujours une épée de Damoclès suspendue au-dessus de ma tête, j’ai toujours peur qu’on me cherche des ennuis », confie-t-elle, allusion aux différentes procédures toujours en cours au tribunal de Bordeaux. Mais elle n’en démord pas : « Dans cette affaire, Courroye n’a pas enquêté en toute objectivité comme il avait le devoir de le faire. On a voulu me faire passer pour une menteuse, voire une coupable, alors que je ne suis coupable de rien. J’ai simplement témoigné afin de protéger Liliane Bettencourt, j’ai dit la vérité et je continuerai de la dire, même si on essaie de m’en faire payer très cher le prix ! » Têtue, on vous dit.

Sarko M'a Tuer
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